La Norvège met la totalité de sa littérature en ligne, gratuitement

Source : Libération, 24.01.2014 La Bibliothèque nationale du pays projette de mettre à disposition des internautes l’ensemble des écrits norvégiens depuis la fin du XVIIe siècle. Un programme permis par la signature d’accords très progressistes avec les auteurs et les éditeurs.

Réconcilier auteurs et Internet, voilà le projet ambitieux de la Bibliothèque nationale de Norvège qui a mis en place bokhylla.no, un site où les Norvégiens pourront bientôt accéder gratuitement à la quasitotalité de leur littérature, de la fin du XVIIesiècle au début du XXIe.

C’est la première fois qu’une bibliothèque de cette importance met en ligne, à côté de livres libres de droits, des ouvrages encore soumis au droit d’auteur, avec l’autorisation de l’ensemble des ayants droit et sans que les lecteurs ne déboursent le moindre centime. «Les utilisateurs devraient pouvoir profiter de l’accès à une large variété de contenu digital où qu’ils soient et quand ils le souhaitent», résume la bibliothèque sur son site.

Cette démarche a pu être menée à bien grâce à la mise au point d’une «licence collective étendue», une législation spécifique aux pays nordiques (Norvège, Suède, Finlande, Islande, Danemark) qui place les droits des auteurs et éditeurs d’ouvrages écrits sous la tutelle d’un groupe de coordination. En Norvège, il s’agit de Kopinor qui représente 22 membres (5 associations d’éditeurs, et 17 associations d’auteurs) et qui est autorisé à conclure des accords collectifs, ce qui évite de demander l’autorisation aux personnes concernées à chaque fois que quelqu’un souhaite numériser un ouvrage. De plus, à partir du moment où Kopinor représente les droits d’un nombre conséquent d’ouvrages, le dispositif peut s’étendre à des ayants droit non-signataires du contrat initial, sous certaines conditions: l’ayant droit qui n’est pas sous la tutelle du groupe de coordination devra être rémunéré de la même façon que ceux qui le sont, et il pourra en plus demander une rémunération individuelle.

Toutefois, si l’accès à cette bibliothèque numérique est gratuit, les ouvrages qui ne sont pas encore dans le domaine public restent protégés par certaines dispositions: ils ne peuvent être téléchargés, ni imprimés. De plus, seuls les internautes qui se connectent depuis la Norvège ont accès aux ouvrages. Enfin, les auteurs qui le désirent peuvent demander le retrait de leur ouvrage du site.

Selon ce système négocié, l’accès gratuit des internautes aux livres ne nuit pas aux ayants droit: pour chaque page numérisée, la Bibliothèque nationale de Norvège rémunère Kopinor environ 0,04 euro. Ce taux se réduira proportionnellement à l’augmentation du nombre d’ouvrages mis en ligne. Kopinor redistribue ensuite les sommes perçues aux ayants droit, en garantissant l’égalité entre les livres: un best-seller ne gagnera pas plus qu’un ouvrage scientifique consulté par une poignée de spécialistes et de curieux.

En 2012, la bibliothèque a ainsi versé un peu plus d’un million d’euros à Kopinor sur un budget annuel global de 450 millions de couronnes, soit près de 54 millions d’euros. Une somme qui devrait mécaniquement augmenter car si, en décembre 2013, «150 000 livres étaient disponibles sur le site, seulement 5000 d’entre eux l’étaient dans les librairies», explique le directeur du développement de la bibliothèque digitale, Svein Arne Solbakk, dans une interview accordée au journalThe Local.

Une telle initiative pourrait-elle voir le jour en France? Rien n’est moins sûr. Il n’existe pas chez nous de législation semblable appliquée à la littérature, donc pas de licence collective étendue. Les droits restent gérés de pair à pair, ce qui déclenche d’intenses débats dans le milieu des bibliothécaires. Pour autant, il est possible que certains ouvrages qui ne sont pas encore libres de droit puissent être numérisés: quand ils sont indisponibles et publiés avant 2001, ou quand ce sont des œuvres «orphelines», c’est-à-dire dont les ayants droit ne peuvent pas être identifiés.

La Bibliothèque nationale de France précise quant à elle, dans sa charte Gallica 1997-2007, qu’elle ne souhaite pas s’engager dans une numérisation à l’ambition totalisante. Sa ligne de conduite vise explicitement à mettre en ligne des documents rares, épuisés, peu accessibles, ou pour lesquels le plan de sauvegarde des documents s’applique. Son offre s’adresse en effet avant tout à un public travaillant dans une perspective de recherche scientifique.

Néanmoins, le site de la BNF permet un accès payant à des livres sous droits d’auteur: grâce à des accords et des partenariats respectant strictement la propriété intellectuelle, un moteur de recherche renvoie à des plateformes d’e-distribution.

Enfin, la situation française est à relativiser par rapport à ce que la Norvège a pu mener à bien. L’article 1 du contrat entre la Bibliothèque nationale d’Oslo et Kopinor définit que l’objectif est de rendre disponible en ligne «toute la littérature publiée en Norvège jusqu’au XXe siècle», traductions comprises. Le projet peut impressionner, mais il n’est pas pour autant exceptionnel: il s’agit de numériser quelque 250000 ouvrages d’ici 2017; il en restera ensuite environ 200000 à traiter. Comparativement, Gallica a déjà numérisé et rendu public plus de 470000 ouvrages, et son objectif est de numériser 100000 ouvrages par an.

Maud COUTURE et Florence STOLLESTEINER

Les livres sont lourds

Une bibliothèque publique texane tente l’aventure du tout numérique

Le Texas a aperçu l’avenir des bibliothèques publiques, et cet avenir ressemble grandement à une boutique Apple, avec des rangées d’ordinateurs, ainsi que des tablettes électroniques disposées sur des présentoirs qui n’attendent plus que les lecteurs.

Les libraires vont même jusqu’à imiter le style vestimentaire des employés des magasins à la Pomme, portant des vêtements semblables. Mais la bibliothèque techno de San Antonio, au Texas, risque d’être encore plus remarquée pour quelque chose qu’elle ne possède pas: des livres en papier.

Cela fait de la BiblioTech du comté de Bexar la seule bibliothèque publique des États-Unis à n’avoir aucun ouvrage physique, une distinction qui a attiré des masses d’amateurs de lecture numérique, en plus d’émissaires provenant d’aussi loin que Hong Kong, et qui désirent en apprendre davantage sur cette idée, pour peut-être l’emporter dans leurs bagages au retour.

Voilà des années que les campus universitaires comptent des bibliothèques entièrement numériques. Mais le comté, qui ne possède pas d’autre bibliothèque publique, a écrit une page d’histoire quand il a décidé d’ouvrir BiblioTech. Il s’agit de la première installation du genre aux États-Unis, selon les informations obtenues par l’American Library Association.

Des propositions semblables dans d’autres localités ont été accueillies de façon mesurée. En Californie, la ville de Newport Beach a jonglé avec l’idée d’une bibliothèque sans livres en 2011, jusqu’à ce que les réactions négatives n’entraînent le retour des étagères chargées d’ouvrages. Près d’une décennie plus tôt, en Arizona, le réseau de bibliothèques publiques de Tucson-Pilma a ouvert une succursale entièrement numérique, mais les citoyens réclamant des livres papier ont finalement eu gain de cause.

Ce qui surprend, toutefois, c’est que BiblioTech a beau ressembler à une boutique Apple, l’endroit n’en est pas moins situé dans un quartier économiquement pauvre de la ville, et est installé dans un vieux centre commercial où se trouvent également les bâtiments administratifs du comté.

San Antonio est la septième plus grande ville des États-Unis, mais seulement la 60e en matière de littératie, selon les données du recensement. Au début des années 2000, les leaders du quartier abritant BiblioTech, formé d’appartements à faible revenu et de magasins de rabais, se sont plaints de ne pas avoir accès à une bibliothèque, a indiqué Laura Cole, la coordonnatrice du projet. Une décennie plus tard, dit-elle, la plupart des familles du coin n’ont pas encore Internet sans fil. « Comment faites-vous progresser la littératie avec si peu de ressources disponibles? », demande-t-elle.

Les résidents profitent désormais de la nouvelle bibliothèque. Celle-ci devrait dépasser le seuil des 100 000 visiteurs pour sa première année d’activité. Trouver un ordinateur disponible parmi la quarantaine offerts est souvent difficile après la fin des classes, et environ la moitié des liseuses électroniques sont empruntées en tout temps, chacune contenant au maximum cinq livres. L’un des visiteurs réguliers apprend le mandarin par lui-même.

La bibliothécaire en chef Ashley Elkholf se rappelle des pages arrachées, des livres perdus ou mal classés. Mais dans les quatre mois depuis l’ouverture de BiblioTech, aucune tablette n’a encore été « empruntée » à perpétuité. La solution numérique est par ailleurs plus économique: les 10 000 ouvrages coûtent aussi cher, mais des millions de dollars ont été épargnés en n’ayant pas besoin de stocker les livres papier.

« Si vous avez des étagères, vous devez structurer le bâtiment pour qu’il puisse supporter tout ce poids, dit Mme Elkholf. Les livres sont lourds; vous le savez si vous vous en êtes déjà échappé un sur le pied. »

À Austin, par exemple, la Ville construit actuellement une bibliothèque dans le centre-ville qui devrait ouvrir ses portes en 2016 au prix de 120 millions de dollars américains. Même une petite bibliothèque publique traditionnelle récemment inaugurée à Kyle, une ville de banlieue, a coûté environ 1 million de dollars de plus que BiblioTech.

Source :

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2014/01/06/004-bibliotech-texas-uniquement-numerique-la-seule-aux-etats-unis.shtml